vendredi 19 décembre 2008

Les yeux remplis de larmes, elle grelottait dans un coin sombre de l'église. Une pluie titanesque s'abattait magistralement sur la toiture, dispersant en fines gouttelettes son joli vacarme. Plongée dans ses réflexions, elle écoutait la berceuse qui s'échappait du clapotement incessant de l'eau. Ses vêtements mouillés lui collaient à la peau, enveloppant voluptueusement son corps d'une fraîcheur impitoyable. Tremblante, elle implora le néant de la quitter. Elle était rentrée là comme on pénètre dans un refuge, loin du chaos et du déchaînement de la nature. Ce n'était sans doute pas un hasard si ces pas l'avaient aveuglement guidée sur ce banc face à une bougie dans la pénombre Il lui fallait s'extirper de la douce violence extérieure qui reflétait si bien ce qui se tramait au fond d'elle. Non loin, quelques voix éparses jaillissaient discrètement du confessionnal, troublant le calme d'une indicible douleur. Ce lieu, en filigrane d' une souffrance contenue, gardait secrètement les plaintes ancestrales de l' Homme venu ici chercher pénitence. La mort apporterait-elle un salut quelconque aux affres de l' existence? Cette question court-circuita un instant les égarements de son coeur. Elle songea alors à toutes ces âmes affligées de médiocrité qui s'étaient jadis retrouvées là, tout comme elle, dans ce sanctuaire où Dieu n'aurait osé les voir. Son regard se posa sur le christ mortellement accroché à une énorme croix en bronze. Cette ignominie, orgueilleusement brandie, lui donna la nausée. L' Amour construit par les hommes ne pouvait être à la hauteur de l'idéal qu'incarnait cette figure et leurs misérables carcasses souffraient de ce qu'ils ne pouvaient atteindre. Troublé, son coeur susurra doucement de sa langueur aux murs glacés de l'église. Elle médita quelques temps jusqu'à ce qu'une main effleure doucement son épaule. En se retournant, elle reconnu le visage d' un prêtre avec qui elle avait échangé autrefois quelques mots.
Elle le regarda sans rien dire et vit qu'il était profondément touché par la peine contenue dans ses yeux. Il brisa le silence le premier.
Lui -Pourquoi êtes vous si triste aujourd'hui?
Elle -Parce qu'il pleut sur la ville comme il pleure dans mon coeur. Je ne supporte plus, vous comprenez... cette nature, qui exulte sa mélancolie et brouille mon soleil. Hier, un ange est venu me voir puis il s'est faufilé dans le crépuscule et je crains qu'il ne revienne. J'ai peur du Temps, vous savez...qui tôt ou tard va disperser ses larmes acides et dévaster la dorure de mes rêves.
Lui -Quel nuage obscurci donc ton âme mon enfant? Ton tracas me semble plus ténu qu'une grisaille automnale. As-tu quelques soucis?
Elle -Je ne sais pas vraiment mon père...La tristesse n'a pas toujours de raison; mon coeur est plus noir que la mort et la nuit ne suffit à exprimer l'obscurité de ma pensée. Dieu ne m'a jamais appelé, pourtant mes convictions se sont toujours fiées à l'amour et j'imagine que le marasme spectaculaire des Hommes a finit par avoir raison de mes verts paradis infantiles. Ma lucidité erre depuis sur quelques chemins de traverse.
Lui : -Tu sembles douter de ce qui t'es intrinsèquement lié. Si ton coeur t'a dicté par le passé l'amour, ne rebrousse pas chemin. Aimer c'est déjà être un peu avec Dieu. Les vices de l'homme révèlent sa faiblesse mais ne signent pas inéluctablement sa bassesse. Dieu habite où on le laisse entrer. Pour croire, il faut vouloir.
Elle : -J'aimerais croire en Dieu mais l'homme ne m'y invite guère. Et si nous sommes la création de Dieu... alors... alors, elle n'égale pas l' image de perfection à laquelle je le rattache.
Lui : -Il me semble qu'il t'est difficile de croire à ton incroyance. Dieu nous a laissé libre et a attendu que nous nous accomplissions sur terre. L'homme a choisi l'imperfection. Mais le mal imprime notre souffrance sur un palimpseste que le bien s'empresse aussitôt de recouvrir. La vie sur terre est une mise à l'épreuve. L'amour invite à l'élévation; il est la marque de la présence de dieu. Ce que tu as pu penser par le passé reste tapi en toi et tu dois le cultiver. Ne laisse pas...
Elle, l'interrompant : - Mais je continue d'aimer mon père. Sauf que je ne vois plus la lumière...Mon âme s'est perdue dans les abysses d'un désarroi profond dont je ne puis m'extirper seule. Et pourtant, c'est souvent prés des autres que la solitude me pèse le plus. La violence de ce monde m'isole de mes semblables que je ne saurai pourtant rejeter.
Pensive : - J'aimerais parfois être étrangère à moi même.
Lui : -Ton coeur vulnérable se remplit du malheur des autres. Mais cette souffrance traduit une richesse qui n'est pas accessible à tout le monde. Ne laisse pas l'homme rogner tes espérances. J'ai foi en ton coeur. Il ne demande qu'à déverser ses trésors. Tu trouveras l'apaisement lorsque tu auras compris que le mal est transitoire et qu'il n'est rien face au calme éternel que promet l'au-delà. Dieu est infini. Et nous souffrons de ce que nous ne connaissons point.
Elle : -Mon père, le plus lent à promettre est toujours le plus fidèle à tenir. J'ai compris que sans la souffrance je ne connaîtrais pas le plaisir, que le mal était un bien et qu'il nous révélait à nous même. Mes amours décomposés ont gardé la splendeur que mon souvenir ravive. Sans doute ne les aurais-je pas tant aimés s'ils pouvaient résister aux aléas du temps. Mon coeur regorge d'amour... Mais dieu m'est inconnu bien que vos paroles me poussent à le découvrir.
Doucement : -Merci à vous, je ne vous oublierai pas. Vous m'avez apporté la chaleur dont j'avais besoin dans l'instant et je me sens presque croire à nouveau en l'homme.
A ces mots, elle se leva pour partir. Il lui sembla qu'elle avait suffisamment déchargé son fardeau et qu'elle ne pouvait en entendre d'avantage. Le prêtre la laissa s'éclipser dans la nuit et vit progressivement disparaître la belle chevelure qui tombait en cascade sur ses frêles épaules.

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