dimanche 2 novembre 2008

En attendant Godot, Beckett, 1952.

Il est difficile de résumer clairement cette pièce car il ne s'y passe rien ou presque... En effet, l' intrigue est exclusivement centrée autour de l'attente d'un personnage (Godot) qui n' apparaîtra jamais sur scène bien qu'il soit annoncé dès le titre et qu'il revienne de façon récurrente dans les propos échangés par les deux protagonistes principaux.(Vladimir et Estragon)
L'intention de Beckett n'est nullement de donner une visée unifiante à son oeuvre et il s'adonne d'ailleurs merveilleusement bien à cette tâche de déstructuration propre à ce type de théâtre (mouvance du théâtre de l'absurde) : les personnages volontairement étiolés sont ramenés à un degré minimal de l'homme (clochards); ils évoluent dans un lieu indéterminé (près d'un arbre) lui même confiné dans un cadre temporel indéfini (la nuit ne semble jamais arriver et finit par tomber brutalement). Chaque jour, comme dans la vrai vie d'ailleurs, les mêmes choses semblent plus ou moins se reproduire comme si le temps était par avance condamné à un incessant retour du même. Ceci est assez évocateur d'une routine et d'un cloisonnement existentiel de l' Homme en général. Ils vont et viennent dans la cage du temps, cet espace-prison dans lequel les personnages parlent pour oublier, parlent pour durer, font des gestes pour se sentir vivre tout en sachant qu'ils éprouvent cela en vain. Vladimir et Estragon ne font rien si ce n'est essayer de parler pour faire passer le temps. Comme en témoigne la première réplique du drame ―« Rien à faire »― seule l'attente et le dialogue, ces degrés minimaux de l'action, viennent structurer le vide inhérent à la pièce. Si le personnage de théâtre se tait il n'existe plus et de là naît son angoisse. Pourtant, même la parole est absurde; elle n'est qu'un palliatif illusoire et retarde fictivement l'idée de dissolution complète de l'être. Sa cohérence est remise en question dans la fameuse tirade de Lucky (agrammaticalement construite) et son aspect transitoire révélé par les aléas de la mémoire (les personnages oublient dans la seconde même ce qu'ils viennent de dire). Sans destinataire, la parole reste claquemurée sur sa propre inanité. Les personnages ne sont rien sans l'existence de l'autre qui est nécessaire à leur imbrication dans le monde. Pozzo est incapable d'être et d'exister par lui même. Il a besoin de Lucky, le serviteur déchu, l' être inférieur, pour exercer son pouvoir et croire à sa supériorité. Lucky, dépendant des ordres de son maître, ne revient à la vie que lorsqu'on le met au travail. Estragon et Vladimir qui s'agacent mutuellement restent inexplicablement inséparables. Finalement chaque être reste asservi à la présence de l'autre et se construit un cadre rassurant ou l'autre vient ponctuellement combler le vide propre à chacun. Malheureusement, le temps coule en vain et les personnages en subissent les aléas. Voué à une lente et irrévocable dissolution de nous même, notre esprit ne peut défier la désuétude. Les corps s'affaiblissent, se dégradent comme mus par une fatale déliquescence de l'existence. Pozzo devient aveugle, Lucky muet et les deux clochards souffrent du pied ou de la vessie. Finalement le langage n'est qu'à demi efficace et reste pire que le néant absolu qui serait pourtant la solution la plus simple aux maux des Hommes. D'ailleurs,le seul et unique projet le plus constant pour Estragon et Vladimir est de se pendre. Ceci est bien révélateur d'une prise de conscience de l'absurdité existentielle, génératrice de souffrances qui ne peuvent cesser que si l'on abdique en s'arrachant au monde. Le supplice de la vie ne peut prendre fin qu'avec la mort. Reste à savoir qui est Godot mais il n'est pas sur que cette question apporte véritablement un sens. La vrai question est plutôt de savoir pourquoi les personnages attendent. Godot est plus ou moins le « sauveur » en mesure d'apporter du mieux. Mais il est l'emblème d'une espérance qui ne sera jamais comblée. L'attente est un état ambigu qui permet d'endurer le malheur présent mais qui laisse insatisfait sans doute parce qu'il aggrave le sentiment du malheur par comparaison avec l'objet imaginaire espéré.

1 commentaire:

Chinaski a dit…

"Reste à savoir qui est Godot mais il n'est pas sur que cette question apporte véritablement un sens."

Juste pour rebondir sur cela. Savoir qui est Godot, et par conséquent comprendre qu'il n'existe peut justement permettre de percevoir le pourquoi et le comment de l'attente.
En prenant Godot comme étant le "sens de la vie" (une sorte de "Dieu" au sens large du terme finalement aussi), inexistant, qui plus est dans un théâtre "de l'absurde", on s'aperçoit de l'inutilité d'une attente toujours déçue qui s'accompagne pourtant d'un espoir jamais démenti. L'attente des deux protagonistes devient un état bâtard entre l'absolue nécessité de donner un sens à la vie et l'inutilité d'une telle démarche. Et par extension, la question devient "pourquoi et comment vivre alors même que l'existence n'a pas de sens?". Beckett n'apporte évidemment aucune réponse, là n'est pas son intention. Il esquisse tout au plus une alternative, dont l'application, sinon impossible semble difficile (dans sa pièce le problème est d'ordre purement pratique): le suicide. "Et si on se pendait ?"

Chinaski.